Quelques conséquences de la linéarité du langage : choix des signes et transformations lexicales
Bien que Saussure semble mentionner dans le CLG que le « caractère linéaire du signifiant » est un « principe [...] fondamental » dont « les conséquences [...] sont incalculables » (Saussure 1972[1916] : 103), la notion de linéarité est absente de l'index présenté par Tullio de Mauro. Cela n'empêche pas que les questions qu'elle soulève aient régulièrement été posées dans la tradition post-saussurienne, tant du point de vue du signe (par exemple, avec les anagrammes) que du point de vue de leur enchaînement (syntaxe). Nous proposons dans cette communication de suivre deux objectifs assez nettement délimités, et étroitement reliés. D'une part, identifier dans les principaux textes attribués à ou écrits par Saussure (CLG, ELG) la façon dont la notion de linéarité est présentée (en lien notamment avec celles de consécutivité et de successivité ; voir en particulier Testenoire 2014). D'autre part, voir en quoi la linéarité ne se limite pas aux seuls phénomènes de discours, qu'elle les dépasse sur le plan de l'abstraction. Du point de vue discursif, nous nous intéresserons aux cas de reformulation, relatifs à l'accès lexical (choix des signes), en cherchant à comprendre si l'ordre dans lequel les signes sont présentés comporte une certaine cohérence sémantique. D'un point de vue plus largement linguistique, nous présenterons des cas empiriques dans lesquels la linéarité est éprouvée et exploitée au moment de la formation et des transformations lexicales : siglaison, réductions par troncation ou autres, anagrammes, etc. En commençant à apporter des éléments de réponse à ces deux objectifs spécifiques, nous souhaitons traiter des conditions de formulation et d'identification des signes en tant que tels (leur saisie 'formelle'), et de la pluralité des niveaux sur lesquels ils se manifestent (les initiales d'un sigle, par exemple, renvoient à un sous-texte au moins virtuel). Les observations empiriques ainsi dégagées seront mises en relation avec les prises de position de Saussure quant à la linéarité du signifiant. Nous tâcherons de décrire différentes formes que ce principe revêt, et d'en relever quelques exceptions, en nous préoccupant toujours des dimensions sémantiques associées.
ARRIVÉ Michel, « Diachronie et linéarité », in Michel Arrivé et Claudine Normand (éd.), Saussure aujourd'hui, numéro spécial de LINX, 1995, pp. 139-146.
COTTE Pierre (éd.), Langage et linéarité, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1999.
COURBON Bruno, « Variation sémantique et jeu de la référence : le cas de la réduction de signes », in Gaétane Dostie et Pascale Hadermann (éd.), La dia-variation en français actuel, Frankfurt, Peter Lang, 2015, pp. 179-205.
GIOT Jean et Damien HUVELLE, « Impasses et modernité saussuriennes : la linéarité revisitée », in Jean Giot et Jean-Claude Schotte (éd.), Langage, clinique, épistémologie. Achever le programme saussurien, Bruxelles, De Boeck, 1999, pp. 227-259.
SAUSSURE Ferdinand de, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1972 [1916 ;édition de Tullio de Mauro ; texte d'abord édité par Charles Bally et Albert Sechehaye ; CLG].
SAUSSURE Ferdinand de, Écrits de linguistique générale, Paris, Gallimard, 2002 [Textes établis et édités par Simon Bouquet et Rudolf Engler avec la collaboration d'Antoinette Weil ; ELG].
STAROBINSKY Jean, Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Limoges, Lambert-Lucas, 2009 [1971].
TESTENOIRE Pierre-Yves, « La linéarité saussurienne en rétrospection », Texto !, vol. XIX, n° 2, 2014, pp. 1-18 [http://www.revue-texto.net/docannexe/file/3503/texto_testenoire_la_linearite_saussurienne_en_retrospection_texto.pdf].