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Eugenia BOJOGA

Défis de la traduction du CLG en Europe de l’Est

L'entreprise de traduction du Cours de linguistique générale a connu un parcours sinueux dans les pays de l'Est. Dans l'entre-deux-guerres, les linguistes de Prague, de Cracovie, mais aussi ceux de Cluj ou Sofia, était familiarisés avec les idées de Saussure, et le CLG était lu dans le texte, car la plupart de ces savants étaient francophones. À partir des années 1946-1947, pourtant, le nom même de Saussure devient tabou.

Le nouveau régime politique de l'après-guerre a apporté des changements sociaux profonds et a notamment imposé l'idéologie marxiste-léniniste dans les sciences humaines. Les linguistes furent contraints d'embrasser la linguistique marxiste et d'abandonner la linguistique « bourgeoise ».

Du point de vue épistémologique, le régime a imposé un nouveau paradigme scientifique, fondé sur le matérialisme dialectique. La linguistique occidentale est jugée à l'aune de la lutte des classes. Elle est qualifiée de « bourgeoise » et ennemie de la nouvelle « science du langage » fondée par N. J. Marr. Les diatribes anti-saussuriennes dans la linguistique soviétique, puis dans celle des pays satellites, évoquent-elles la « théorie des deux sciences » opposées.

Les dirigeants exigent une nouvelle perspective sur la langue; ils font également le procès de l'histoire récente de la linguistique, comme dans cet article qui critique la recherche roumaine des années 1930-1940 :

À cette époque-là, la plupart des linguistes avaient adopté diverses théories idéalistes et métaphysiques réactionnaires, dont notamment les conceptions anti-scientifiques occidentales du F. de Saussure et de ses adeptes, les structuralistes. (« Pentru înflorirea lingvisticii » , 1951 : 20).

La situation n'est pas unique, et le tableau vaut pour presque tous les pays de l'Est jusqu'aux années 1958-1960, quand intervient une relative libéralisation. Pourtant, ce n'est qu'en 1989, après la chute du mur de Berlin, que la linguistique est-européenne échappe définitivement à l'emprise du politique.

Ceci explique pourquoi le CLG ne fut traduit, avant le moment 1989, qu'en russe, polonais et en tchèque. Les autres traductions paraissent après le démantèlement de l'Union soviétique : la version bulgare en 1992 (Ф. дьо Сосюр: Курс по обща лингвистика), la version roumain en 1998 (F. de Saussure, Curs de lingvistică generală), la version croate en 2000 (F. de Saussure, Tečaj opće lingvistike).

Notre communication analysera, dans ce contexte, l'impact des traductions du CLG dans les pays de l'Est, notamment en Roumanie et dans l'ex-Union Soviétique.



*** 1951, « Pentru înflorirea lingvisticii », Studii și cercetări lingvistice, 2.

Bojoga, E., 1998-1999, [Compte-rendu de] « F. de Saussure, Curs de lingvistică generală, Trad. de I. Izverna Tarabac, Editura Polirom, 1998 », Dacoromania. Serie nouă.

Bojoga, E., 2013, « La réception du Cours de linguistique generale en Roumanie »,

cf. www.atilf.fr



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