Considérations sur la conscience et sur le sentiment du sujet parlant saussurien
L'objectif du travail que nous proposons est d'analyser la manière dont la notion de « sujet parlant » apparaît dans les manuscrits saussuriens autographes et dans les notes des auditeurs, en prenant en compte notamment les trois cours de linguistique générale. C'est là, dans un contexte d'illustration des opérations morphologiques, qu'on observe l'émergence de cette thématique en toute sa complexité. Selon notre hypothèse, « sentiment du sujet parlant » se constitue en tant qu'effet de la relation entre le sujet et la langue : c'est le propre du fonctionnement de la langue d'impliquer la capture du sujet dans le tissu des relations qu'elle comporte. Tel « sentiment » se révèle sous la forme de savoir linguistique qui pourtant n'est pas « plein » ou « complète », se présentant plutôt comme conscience « faible » des relations linguistiques (Fadda 2013). Dans une première étape, nous reverrons sur le « circuit de la parole » pour essayer à mettre en lumière la distinction entre « acte » et « fait » linguistiques à travers le double positionnement du sujet dans ce contexte, c'est-à-dire, en tant que « parlant » et « écoutant ». Déjà en 1891 Saussure s'interroge sur les rôles productif et réceptif du parlant et sur les degrés d'intentionnalité qui caractérisent ces instances. A cette époque, sa réponse est plutôt négative : l'acte linguistique serait le plus « impersonnel » des actes langagiers, alors qu'une attitude plus nuancée apparaît lorsqu'il s'agit de présenter la notion de syntagme et l'opposition langue/parole en 1910-1911. Selon Saussure (1907), par exemple, suivant les notes de Riedlinger, la légitimité de l'analyse morphologique ne peut pas être fondée que sur le « sentiment » du sujet parlant : « [...] ce sentiment doit provenir d'une analyse intérieure, d'une opération de décomposition subconsciente sur le mot ». Au centre de cette conception, se trouve le travail de reconnaissance des unités de la langue de la part du parlant et notamment la perception de leurs frontières. Dans une dernière étape, nous entendons poursuivre l'analyse du travail et des aptitudes du sujet parlant à partir d'une lecture critique de l'entrée « Sentiment » du Lexique de Engler (1968 : 45) : « sentiment du sujet parlant → concret, conscience, réalité ». Une question se pose alors : dans quelle mesure ces qualités peuvent telles être mises en rapport avec toute les nuances formulées au long des arguments jusqu'ici présentés.
G. D'Ottavi. Ferdinand de Saussure et le Monsieur B, Bollettino di Italianistica, NuovaSerie, vol. VII, n. 1, 2010, p. 71-91.
E. Constantin ; F. de Saussure, Linguistique générale (Cours de M'le Professeur de Saussure) - semestre d'hiver 1910-1911, Cahiers Ferdinand de Saussure, 58, 2005, p. 82-290.
E. Fadda, « 'Sentiment' : entre le mot et le terme – quelques notes sur le travail et la langue de Ferdinand de Saussure », Cahiers Ferdinand de Saussure, 66, Droz, 2013, p. 49-65.
F. de Saussure, Cours de Linguistique Générale, Édition critique de R. Engler, tome 1, Otto Harrasowitz, Wiesdaden 1989 [1968].
F. de Saussure, Cours de Linguistique Générale, Édition critique de R. Engler, tome 2, Otto Harrasowitz, Wiesdaden 1990 [1974].
F. de Saussure, Premier Cours de Linguistique Générale (1907) – d'après les cahiers d'Albert Riedlinger, Édition de Eisuke Komatsu et George Wolf, Pergamon, 1996.
F. de Saussure, Deuxième Cours de Linguistique Générale (1908-1909) – d'après les cahiers d'Albert Riedlinger et Charles Patois, Édition de Eisuke Komatsu et George Wolf, Pergamon, 1997.
F. de Saussure, Science du langage – de la double essence du langage, édition des Écrits de Linguistique Générale établie par R. Amacker, 2011.
R. Engler, Lexique de la terminologie saussurienne, Spectrum Éditeurs / Utrecht/Anvers, 1968.
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