Saussure et la philosophie: Un essai de reconstruction de la théorie de la langue
Je soutiens dans cette étude que la théorie saussurienne de la langue tourne autour de trois principes interdépendants : le principe de l’arbitraire du signe, le principe de la linéarité du signifiant et le principe de différenciation. Le premier, qui est le principe fondamental, équivaut à une vraie déclaration d’indépendance de la langue à l’égard de tout ordre externe. Saussure s’oppose ainsi au principe aristotélicien de l’analogie, selon lequel le langage, loin d’avoir une autonomie interne, se fonde sur un ordre externe avec lequel il maintient un rapport de similitude ou d’analogie. Le second principe indique les articulations entre le son (substance phonique) et le sens (substance sémantique) qui délimitent les composants du signe linguistique, à savoir le signifiant (une classe de sons) et le signifié (une classe de sens). L’articulation ou la segmentation des sons est la condition de la possibilité de l’émergence du signifié linguistique. Le troisième principe explique comment les éléments du signe (signifiant et signifié), grâce à un jeu de différences, se maintiennent en équilibre, pour former le système de la langue. Saussure est arrivé ainsi au concept de valeur linguistique et à la définition de la langue comme “un système de pures valeurs”. Il faut remarquer, toutefois, comme le soutient Tullio De Mauro, que la théorie saussurienne de la langue s’organise autour du couple valeur/signification, qui répond à l’exigence logique formulée par Gottlob Frege, en distinguant Sinn (sens) et Bedeutung (référence). Le signe linguistique, au–delà de sa fonction différentielle, a donc, aussi, une fonction référentielle. Loin d’être “une sorte d’appendice du langage (...), qui n’ajoute rien à la langue”, comme prétend P. Ricoeur, en interprète de Saussure, la parole est ce qui remplit sémantiquement les signes vides de la langue, en les vivifiant.
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