Le devenir du paradoxe saussurien en sociolinguistique
La sociolinguistique est née en réaction au modèle ontologique de la langue issu des écoles structuraliste et générativiste. Incriminant l'approche de la théorie grammaticale et sa conception de la langue, la sociolinguistique a pris au sérieux l'étude de la linguistique externe.
Fondateur de la sociolinguistique, William Labov (1972), s'en est pris aux incohérences du Cours de linguistique générale et a dénoncé l'absence du social dans une science qui « étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ». Selon Labov (1972 : 185), la tradition saussurienne « n'a rien à voir avec la vie sociale » car les linguistes examinent la connaissance linguistique de quelques rares informateurs, quand ils ne s'appuient pas sur les leurs. Cela a conduit Labov à dénoncer le paradoxe saussurien : même si la langue est sociale, la linguistique considère que la connaissance de la langue pourra être appréhendée par le biais de l'intuition individuelle, alors que l'aspect individuel ne sera saisi qu'à travers l'observation de l'usage dans son contexte social.
Si dans le Cours de linguistique générale on lit que la partie sociale est purement mentale, l'étude philologique des manuscrits montre une hésitation dans le développement de la pensée du professeur genevois lui-même. Avant d'inverser le rapport dans les cours II et III, dans son premier cours, Saussure qualifiait la parole de sociale et la langue d'individuelle (Engler 1986 : 12 ; CLG / E (I), I R 2560).
La sociolinguistique a négligé le fondement durkheimien du fait social. Pour Durkheim, l'apprentissage de tout fait social et sa mise en pratique s'élaborent ainsi : intériorisation de l'extériorité et extériorisation de l'intériorité. Tous les sociologues n'ont pourtant pas accepté les faits sociaux comme des entités autonomes. Ils considèrent que le comportement des individus constitue l'objet primordial de leur examen, et que c'est justement de leur comportement que peut surgir un effet social.
Notre objectif sera de passer en revue les classiques de la sociolinguistique et les ouvrages métathéoriques de ce domaine afin d'y retracer l'interprétation du fait social. Seront aussi pris en considération les travaux de la sociolinguistique cognitive pour savoir comment la plus récente des approches du domaine se propose de lever le paradoxe saussurien.
CLG / E (I) = Saussure, Ferdinand de (1968) : Cours de linguistique générale, Wiesbaden, Otto Harrassowitz. Edition critique par Rudolf Engler.
Coupland, Nicolas, Srikant Sarangi and Christopher Candlin N. (2001): Sociolinguistics and Social Theory. Harlow: Pearson Education.
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